Au moment d’atterrir sur l’atoll de Rangiroa, je regarde par le hublot et prends soudainement conscience de ce qu’est un atoll. C’est très étroit, il n’y a aucun relief. Si un tsunami venait à passer par là, tout disparaitrait en une seconde.
L’avion se pose sur un minuscule bout de terre tout plat. Je sens l’angoisse monter : « Qu’est ce que je vais faire là pendant une semaine ? ».
Le morceau d’atoll sur lequel je suis, Avatoru, fait 10 kilomètres de long et 300 mètres de large. Quand je me place au milieu, que je tourne la tête à droite ou à gauche, je vois la mer. Et avec toute cette eau, aucune plage.
Mon hôte me demande si je vais faire de la plongée. Ce n’est pas une question en l’air : l’atoll de Rangiroa est l’un des plus beaux spots de plongée au monde. Je sonde mon cerveau en un temps record et j’en arrive à la conclusion que ce n’est pas du tout mon truc.
Sauf qu’au bout d’une journée, j’ai fait le tour de mon tronçon d’atoll à vélo ; deux fois. Je me suis arrêtée devant les trois épiceries pauvrement approvisionnées que j’ai croisées et les rares petites boutiques qui ont balisé mon parcours cyclique. J’ai cherché en vain des traces de plage et j’ai trouvé à la place un chiot abandonné qui couine sa solitude et se comporte avec moi comme si j’étais sa seule chance d’adoption et d’affection. Pendant les deux heures qui suivent cette rencontre fortuite, je réfléchis à comment le garder avec moi. C’est très compliqué de ramener un animal en Nouvelle-Zélande. D’autant que je n’ai que quelques jours devant moi et qu’il n’y a aucun vétérinaire sur mon banc de sable. Peut-être que mon hôte voudra bien le garder ? Ah ben non. Je me retrouve face à un refus catégorique, contrainte d’abandonner le chiot à mon tour. J’ai le cœur brisé. Première journée triste donc ; et peu productive.
Encore 6 jours…
En grande flemmarde que je suis, je pourrais passer mon temps sur Netflix, mais le Wi-Fi chez mon hôte n’est pas assez puissant pour regarder la moindre vidéo. Je me résous donc à m’inscrire au club Rangiroa Plongée. Cela commencera par un baptême et si tout se passe bien, je démarrerai une formation pour passer mon niveau 1. Tout ceci n’est qu’un grand malentendu, je me dis intérieurement.
On m’aide à m’équiper et on part pour le lagon. Ça va plus vite que ce que j’aurais cru. Combinaison intégrale, palmes, masque, bouteille d’oxygène sur le dos, tuyau à la bouche. Cette histoire commence à devenir bien réelle. Lourde et engoncée, assise sur le boudin orange du zodiaque, je m’entraîne à respirer à la bouteille. Sensation âpre dans la bouche, ça me donne envie de boire. Je fais partie de ces gens qui ont toujours peur de mourir de soif et qui trimballe avec eux une bouteille d’eau partout où ils vont, juste au cas où.
Je saute en arrière, le cul par dessus bord, d’une façon aussi inélégante que possible. Je ne suis pas très stable sous l’eau, mon corps tourne sur lui-même, je m’emmêle les palmes, et les tuyaux qui sortent de mon dos s’élèvent en tentacules autour de moi. Je me meus telle une pieuvre humaine, gesticulant d’une manière incontrôlée, trainant des membres et des appendices dont je ne sais que faire. Le moniteur me retient en me tenant par ma ceinture de plomb. J’ai l’impression d’être un jeune chien fou que l’on essaie de tenir en laisse parce qu’il court dans tous les sens.
En regardant les poissons passer j’en viens à oublier mon scaphandre et je parviens progressivement à me maintenir à l’horizontale. On remonte, le temps est passé vite.
Le lendemain ma formation commence. Nouveau moniteur. On plonge et on s’assoie au fond de l’eau sur le sable pour faire des exercices. Il s’agit de reproduire délibérément des problèmes qui peuvent arriver sous l’eau : perte du masque, perte du détendeur (le tuyau qui permet de respirer)… Génial. Sur la terre ferme, le moniteur m’avait expliqué comment faire, mais sous l’eau, l’exercice du masque prend une autre dimension, avec option noyade possible.
J’enlève mon masque les yeux fermés parce que l’eau est salée. Je suis donc aveugle. Avec un sens en moins, je respire par la bouche sans parvenir à convaincre mon cerveau que je respire bel et bien… L’eau que je sens plaquée contre mon nez et dans mes narines m’angoisse énormément. Je panique. J’ai l’impression que je vais inspirer par le nez par inadvertance et me noyer dans d’atroces souffrances. Il faut savoir que dans mon palmarès des morts les plus horribles, il y a la mort par noyade ; qui vient juste après le fait de mourir brûlé et celui de mourir mangé par un animal féroce, de type alligator, requin, lion, ours…
Ma respiration s’accélère avec le stress et je sens que mon corps, empli d’air, remonte malgré moi. Le moniteur doit me tenir par la ceinture pour me ramener au sol. Je me décide à ouvrir les yeux pour prendre toute la mesure de la situation. Ça pique, je ne vois presque rien. Mon moniteur m’apparait dans une forme floue. Je lui fais signe que je veux remonter désespérément. Je le vois, stoïque, me répondre « non » avec son doigt qui gigote de gauche à droite. J’essaie de me calmer, je respire toujours à grands poumons. J’agrippe la main du moniteur qui tient ma ceinture. Ce petit contact avec un morceau de peau humaine m’apporte étrangement une grande aide psychologique. Je remets mon masque en place. Il est plein d’eau, je dois le vider. Je penche la tête en arrière, appuie sur le haut du masque et souffle fort par le nez pour chasser l’eau du masque. Au passage, j’aspire un peu d’eau salée dans la gorge. Ça brûle. Je tousse dans le détendeur. J’ai envie de boire de l’eau pour aider à faire passer tout ça. Est-ce que si j’étais en train de me noyer, le moniteur me laisserait remonter ? Pas certain, alors je me dépêche ! Je reprends ma respiration plusieurs fois par la bouche avant de souffler par le nez. Je réitère jusqu’à ce que le masque soit vide.
Les exercices sont terminés, on peut maintenant profiter de la plongée. Heureusement, le paysage marin me fait rapidement oublier mon traumatisme respiratoire. C’est comme après un accouchement en somme. Dès qu’on vous pose le bébé sur le ventre, on oublie la douleur endurée.
Les jours suivants je fais deux plongées par jour. Chaque fois l’exercice du masque sera très difficile mais je le ferai tout de même. Je gagne en assurance et je suis de plus en plus à l’aise. Le dernier jour, je plonge dans la passe de Tiputa. Le courant marin est si fort qu’on se laisse dériver, mais il faut parfois s’accrocher au coraux pour avoir le temps d’observer les animaux. Ce jour-là, plusieurs dauphins passent près de nous.
Je ne sais pas vraiment ce qui m’a pris de vouloir tenir jusqu’au bout, mais maintenant j’ai ma carte de plongeur de niveau 1 et je peux plonger à 20 mètres de profondeur. Si j’attends plus d’un an avant de replonger, je devrais repasser une plongée de rappel et refaire les exercices, notamment celui du masque. J’ai donc intérêt à plonger dans moins d’un an ou plus jamais de la vie.