Dormir dehors en Nouvelle-Zélande hors saison estivale

De 15 avril 2018 juillet 1st, 2018 Nouvelle-Zélande

Les températures ne montent jamais très haut en Nouvelle-Zélande. Pendant l’été, de décembre à janvier, il fait rarement au-dessus de 25°, surtout dans l’île du Sud, plus froide que l’île du Nord parce que plus proche du pôle sud. Mais avec le soleil, ça peut taper fort en journée. Heureusement. Parce que j’adore la chaleur.

L’été est fini maintenant, et le froid a vite repris sa place. Je n’aurais pas cru me cailler autant au mois d’avril. On n’est même pas en hiver… Ces derniers jours, on a eu du 5-8° en journée et des températures frisant le négatif pendant la nuit.

Dormir dans le van, ce n’est plus aussi cool qu’avant. Il faut le dire. Le soir quand on va se coucher, les draps sont glacés. Le matin au réveil, il faut trouver le courage de remettre des habits froids et légèrement humides (à cause de la condensation). Et puis ensuite, on essuie depuis l’intérieur les vitres, opaques à cause de l’eau qui y perle. Depuis une petite semaine, je retrouve mon téléphone mouillé le matin. Cela devient difficile. Alors imaginez quand il faut dormir dans une tente !

Nous on imagine très bien puisque c’est ce qu’on a fait très récemment. Pour des randonnées en montagne en plus ! J’avais réservé des mois à l’avance les deux dernières « great walks » que l’on voulait faire : Routeburn et Kepler ; des randonnées de 3-4 jours dans les fiords de Nouvelle-Zélande. Il faut réserver à l’avance les nuits dans les refuges ou les camps car ils font toujours le plein. Le problème, c’est que ces randonnées sont prises d’assaut l’été, pendant la saison touristique, et qu’au moment de réserver, il n’y avait plus de place au chaud. Alors j’ai réservé Routeburn pour les 17-19 mars et Kepler pour les 6-9 avril. Seules places disponibles. La saison des « great walks » s’arrêtant le 30 avril puisqu’après les conditions alpines peuvent être dangereuses.

Routeburn Track

On part tout content. La première journée n’est pas très difficile et on arrive au camp assez rapidement. En installant la tente, on se fait agresser par les sandflies qui prolifèrent dans le bush. Antonin s’asperge d’anti-moustique. Quand je le vois se faire un psshhit sur le visage en fermant les yeux, je reste mutique. Je me couvre de la tête aux pieds et on se dépêche d’aller faire à manger. Ce qui consiste à faire chauffer de l’eau pour les noodles. Puis, on part se coucher, parce qu’on ne peut pas vraiment chiller dehors et profiter du paysage à cause des 20 sandflies au mètre carré. Pourtant, la nuit est très belle. On est sur l’une des zones (accessibles à l’homme) les plus sombres de la planète pendant la nuit : parfait pour observer la voie lactée, qui ce soir-là est brillante. Tant pis, on se blottit sous la tente. Il fait froid de toute façon.

Et là, commence, je crois sans exagérer, la pire nuit de ma vie…

Ah oui, parce que grande idiotie de notre part : on a échangé avec mes parents, quand ils sont venus nous voir en été, nos duvets 0° contre les leurs (15-20°). Et vous allez me dire : « Mais, why??? Quelle idée ! ». Oui et le pire, c’est qu’à l’époque, on y avait réfléchi et qu’on avait trouvé ça logique. C’est plus compact, ça prend moins de place. Sweet. On se pèle donc. On est tout habillé, dans les sacs à viande en polaire, eux-mêmes enfilés dans les sacs de couchage. Il fait tellement froid que je porte mon bonnet et mes gants. Je suis emballée, comme dans une papillote, avec juste le nez qui sort pour respirer. On peut se tenir chaud entre nous, avec la chaleur humaine… ? Que nenni. Nos couches de vêtements et de couvertures nous isolent paradoxalement l’un de l’autre : on est engoncé, saucissonné, capoté ; impossible de sortir un bras pour s’agripper.

Je suis frigorifiée. J’ai l’impression d’être dans un igloo. Mon nez est devenu un glaçon. L’air autour de nous est glacial.

Je fais des abdos pour me réchauffer ; en vain. Je souffle à l’intérieur de mon duvet pour faire comme l’âne et le bœuf sur le petit Jésus dans l’étable. Ça fonctionne plutôt bien, mais au bout de quelques minutes, je dois ressortir la tête pour respirer. Cycle intenable. Je ne dors pas. J’attends que les heures passent. Antonin dort. Peut-être. Ou alors, il souffre en silence comme moi. J’ai envie de pleurer.

Le lendemain matin, je suis crevée. Et il faut repartir pour une journée de marche, puis redormir en tente, puis remarcher toute une journée. Je suis de mauvaise humeur. À son passage hors de la tente, Antonin laisse filtrer des sandflies qui ne manquent pas de me piquer pendant que je me change. Je sors de la tente, au bout de ma vie.

Sous l’abris, j’ouvre mon sac à dos pour sortir ce qui va être notre petit-déjeuner : une poignée de graines et de fruits secs, et un œuf dur chacun. J’extirpe un sac plastique dont le fond est déchiqueté sur la taille d’un trou de souris. Je reconnais ce type d’effraction. J’ai vécu à Paris. J’ouvre le sac avec beaucoup d’appréhension et je découvre notre nourriture pour les prochains jours grignotée en coin par-ci par-là. Le pain, le fromage… Et puis, je trouve un petit cadeau laissé-là gentiment : des crottes de souris. En grande maniaque de l’hygiène et de la propreté que je suis, je trépigne en geignant. Je mange mes graines du bout des dents, dégoutée. J’essaie de nettoyer un peu mon sac et puis on repart. L’air est venteux et humide. On marche, on grimpe et on commence à monter vraiment haut. Mais on voit peu du paysage à cause de la brume.

En jetant un œil sur le plan, je me dis que je ne pourrais jamais repasser une nuit à avoir si froid, en altitude qui plus est. On s’arrête vers 14h et on mange ce qu’on peut autour des morceaux déjà rongés par les souris vandales. Le vent mélange des mèches de cheveux à ce qui rentre dans ma bouche. Il se met à pleuvoir.

C’est la goutte d’eau.

On en discute un peu et on décide d’abandonner la suite de la randonnée. On rebrousse chemin. On redescend et on remarche ce qu’on a déjà marché. Tant pis pour la nuit réservée non remboursable. On ne veut qu’une chose, rejoindre le van.

Kepler Track

Fort de notre expérience, on essaie de mieux se préparer pour Kepler. Sur les 3 nuits, deux sont en refuge, alors j’ai davantage confiance. On prend avec nous plus de vêtements, et deux couvertures de survie pour la nuit en tente. Aussi, je range la nourriture dans des Tupperwares. C’est plus sûr.

On a de la chance question météo, il y a du soleil et la vue est dégagée. Les paysages sont absolument magnifiques…

Je me dis que ce sera ça de pris si les nuits sont pénibles. En revanche, la randonnée est plutôt difficile. J’en bave un peu.

Le premier soir, on est dans une « hut ». Je reste près du poêle le plus longtemps possible et pendant la nuit, dans le dortoir, je colle mon harnachement de saucisson contre celui d’Antonin. À deux, on occupe seulement un matelas et demi. Et avec la présence d’une quarantaine de personnes autour de nous, la pièce prend vite une température tolérable. Cela reste froid quand-même. Je m’en suis aperçue quand je me suis levée en pleine nuit pour aller faire pipi. Le combo ‘fesses nues sur la cuvette congelée + pieds en chaussettes sur le carrelage de glace’ (on n’a pas le droit de porter ses chaussures dans le refuge) finit de me recroqueviller sur moi-même.

Le soir de notre nuit en tente, pas de sandflies. Merci Dieu ! J’installe les couvertures de survie sur le sol à l’intérieur de la tente. Antonin fait du feu, c’est vraiment très agréable. Ça rassemble un troupeau de campeurs surgelés autour de nous et ça raconte des histoires. On dort mieux que la dernière fois, même si cela reste un peu l’épreuve car on n’a pas les duvets adaptés pour les conditions dans lesquelles on se trouve. Le matin, pas d’intrusion de rongeurs dans les sacs à signaler.

Troisième jour de marche. On est épuisé. J’ai des ampoules, des courbatures, j’ai mal au dos. On s’engueule un peu. Puis un bisou. On discute. Antonin n’a pas envie de passer la troisième nuit. Pourtant c’est dans un refuge. Son plan c’est de rejoindre la route qui se trouve à un embranchement de la randonnée, environ à 1h30 de marche après le refuge où on dort le soir. Il compte y faire du stop et revenir au van. Moi je suis trop fatiguée pour marcher 1h30 de plus. On marche déjà plus de 6 heures par jour.

On se quitte. Antonin part devant, il marche plus vite que moi. C’est la première nuit que l’on va passer ‘séparés’ en 7 mois de voyage. Je me traine. J’ai très mal aux pieds. Je découvrirai 2 jours après que j’ai en fait un orteil foulé.

J’ai l’impression que ça dure des heures. Je n’ai pas de montre et je n’ai pas emmené mon téléphone, je ne sais pas comment le temps passe. Mais je finis par atteindre enfin le refuge. Je vois une femme qui me regarde arriver par la fenêtre. Elle me dit : « Are you Lauren? ». Étonnée. Un « Yes » fatigué sort de ma bouche. Elle court vers moi avec un sourire et me tend un petit bout de papier plié en 4. C’est Antonin qui m’écrit qu’il m’aime et qu’il me souhaite une bonne nuit. Chaleur dans le cœur.

J’enlève mes chaussures, rentre dans le refuge, vais choisir mon matelas dans la pièce du fond puis reviens dans la pièce du poêle. Je remarque que tout le monde se déplace en boitant. J’étire les muscles de mes jambes devant le bois qui brûle. Ça fait du bien. Je mange tôt.

La nuit tombée, la Ranger se met à jouer de la guitare. C’est très beau. Elle chante ses propres textes : des récits lointains sur les premiers néo-zélandais et l’époque de la ruée vers l’or.

Finalement, elle est super cette dernière randonnée en Nouvelle-Zélande !

Notre périple à travers le pays s’achève. On en a fait le tour.

Depuis deux jours, on roule pour quitter la froidure du sud et rejoindre la ville de Christchurch. Je fais des rêves de bouillotte la nuit, alors ça veut dire qu’il est temps. On va chercher une chambre en colocation. Dans une maison avec des murs. Et du chauffage.